Gévaudan — La trace des légendes

On entre dans
le Gévaudan
comme on entre dans un récit. Ici,
les lignes droites sont rares
. Les chemins s’enroulent, hésitent, contournent. Le ciel s’élargit par instants, mais c’est pour mieux vous ramener
sous les frondaisons
. On est encore en marche, mais on est déjà ailleurs. Le silence reste,
mais il change de registre
. Il n’est plus apaisant,
il intrigue
. Il fait entendre les branches qui craquent, les cailloux qui roulent sous les chaussures, le souffle court quand
la pente se lève sans prévenir
.
La terre est plus rouge, plus sèche.
Par endroits, les pierres surgissent comme des cicatrices. Les murs sont plus hauts, plus rugueux,
les villages plus dispersés
. On croise moins de visages, mais quand on en croise un,
il vous regarde dans les yeux
. Le lien est immédiat, sans fioritures. Il y a quelque chose de
rude ici, mais jamais hostile
. Une
austérité habitée
. On sent que les gens qui vivent là
n’ont pas besoin de parler pour qu’on les écoute
.
Et puis il y a cette
impression persistante qu’on ne marche pas seul
. Pas à cause des autres randonneurs – on en croise peu –, mais à cause de
l’épaisseur du lieu
. On se surprend à imaginer
des présences
,
des silhouettes entre les arbres
. Ce n’est pas inquiétant. C’est juste
vivant autrement
.
Le Gévaudan porte une réputation.
Des histoires, des mythes, des bêtes.
On n’est pas obligé d’y croire. Mais une fois dedans,
on comprend pourquoi elles existent
.
Stevenson, lui, écrivait :
« Le paysage, à mesure qu’on avance, devient un personnage. »
Ici,
ce personnage a du caractère
. Il est
ancien
,
imprévisible
,
profond
. Il ne se livre pas tout de suite,
mais il vous observe marcher
. Et parfois,
il vous laisse passer
.



)
Chaque pas semble soulever
un peu de poussière ancienne
. Comme si
le sol gardait en mémoire tout ce qui a été traversé
. Le paysage ici
n’est pas neutre
. Il
réagit
. Et parfois vous récompense :
un point de vue inattendu
,
une trouée de lumière
,
un ruisseau invisible qui murmure au creux d’un fossé
.
Ce n’est pas une terre qui se raconte facilement.
Il faut
l’écouter longtemps
. Accepter
de ne pas tout comprendre
. Marcher encore un peu
sans chercher à tout nommer
. Et dans ce flou, quelque chose s’imprime :
une sensation d’avoir franchi un seuil
. Comme si, à force de marcher,
on entrait dans une version plus ancienne du monde
.
Bientôt, il faudra
gagner de l’altitude
. Laisser derrière soi
les creux sombres du Gévaudan
pour affronter
les vents clairs du Mont-Lozère
. Là-haut,
tout changera
. Le regard. Le souffle. Et peut-être aussi
ce qu’on cherche
.


